Depuis plusieurs années, le législateur incite les partenaires sociaux à conclure des accords collectifs. Mais cette intention ne doit pas se heurter à de fréquentes actions en nullité de ces accords, qui risquent de remettre en cause la sécurité juridique. Aussi, l’incitation à la négociation a dû s’accompagner de règles cantonnant les contestations à des délais stricts.

Avant 2017, les actions en nullité des accords collectifs n’étaient encadrées par aucun délai impératif, si ce n’était la prescription de droit commun. Ainsi, ces accords étaient, de fait, une norme friable, car sujette en permanence à d’éventuelles contestations selon l’évolution des relations sociales. Les ordonnances de 2017 ont – partiellement – remédié à cette situation.

Les enjeux de la stabilité des accords collectifs

Sans reprendre tous les champs d’intervention des conventions collectives, on doit néanmoins mesurer l’enjeu du sujet pour comprendre la portée attachée aux actions en nullité des accords collectifs. Au niveau de la branche, la convention collective a notamment vocation à prévoir les conditions de mise en œuvre des conventions de forfait en jours. Ce seul sujet peut avoir, en cas de nullité, des conséquences très importantes pour les entreprises comprises dans le champ d’application de l’accord de branche concerné. Les actions en nullité des forfaits jours – et les demandes d’heures supplémentaires qui en découlent – sont désormais devenues des classiques de la procédure prud’homale, soulevées de manière quasi-systématique.

Au niveau de l’entreprise, nombre de sujets importants peuvent donner lieu à contestation : tel dispositif convenu pour assurer l’évolution de carrière des salariés et/ou des représentants du personnel, tel autre tenant au versement de primes, à l’évaluation du personnel. Sur tous ces sujets, une action en nullité est susceptible de remettre en cause un dispositif validé par l’entreprise et les organisations syndicales, au motif qu’il serait contraire à une norme supérieure. On pourrait penser que la vérification de la validité des accords collectifs au regard des normes supérieures est facile : il n’en est rien. Les règles à respecter ne manquent pas : la loi évidemment, mais aussi les normes internationales, les principes constitutionnels, "l’ordre public". Plus la norme alléguée est "haute", plus elle est générale… et donc sujette à des variations d’interprétation selon les époques. Autant dire que la stabilité de la norme négociée est loin d’être acquise.

Le délai de contestation de deux mois

La réponse des ordonnances de 2017, au travers de l’article L. 2262-14 du Code du travail, a consisté à encadrer toute action en nullité dans un délai de deux mois. à défaut de respecter ce délai, l’action en nullité est irrecevable. En d’autres termes : l’action tardive doit être rejetée nonobstant le fait que l’accord querellé pourrait être contraire à la loi ou à l’ordre public.

Le délai de deux mois peut paraître bref, en particulier au regard de la pratique antérieure. C’est néanmoins le prix de la stabilité requise. C’est ce qu’a, en tout état de cause, considéré le Conseil constitutionnel, en validant ce délai dans sa décision du 21 mars 2018, rappelant à cette occasion que le législateur avait voulu éviter que les accords collectifs puissent être contestés longtemps après leur conclusion. On notera que le délai de deux mois pour contester l’accord est le même que celui applicable en matière administrative. Le message est clair : il s’agit sur ce sujet de mettre en lumière l’aspect réglementaire des accords collectifs.

Comme à chaque fois qu’un délai est fixé par la loi, toute la question de son efficacité tient à son point de départ. Les dispositions de l’article L. 2262-14 du Code du travail ont à ce titre fixé que :

  • pour les accords d’entreprise, le délai de deux mois courrait à compter de la notification par les signataires aux organisations disposant d’une section syndicale ;
  • dans tous les autres cas, et donc notamment pour les accords de branche ou les accords de groupe, le délai de deux mois courrait à compter de la publication de l’accord par une base de données nationale.

La loi ne précise pas quelle est la base de données nationale au sein de laquelle la publication doit avoir lieu. Il peut s’agir par exemple des sites internet Legifrance ou Journal officiel. Pour être valablement engagée, l’action en nullité suppose par ailleurs de saisir le tribunal judiciaire territorialement compétent et de mettre en cause l’intégralité des parties signataires de l’accord.

Il convient de relever que le délai de forclusion de deux mois s’applique aux conventions ou accords conclus postérieurement à la date de publication de l’ordonnance du 22 septembre 2017. Pour celles conclues antérieurement, le délai de deux mois courrait à partir de la publication de l’ordonnance ; il est donc, de longue date, dépassé. De ce fait, les ordonnances ont validé à compter de décembre 2017 une large part des accords collectifs qui avaient été signés avant son édiction.

Une béance dans le dispositif : l’exception d’illégalité

Le délai de deux mois concerne l’action en nullité des accords collectifs – mais seulement cette action. Un salarié qui saisirait le conseil de prud’hommes serait-il recevable à faire valoir la nullité d’un accord à son égard ? En droit strict, la réponse devrait à notre sens être négative. Un salarié n’est pas "partie" à un accord collectif, quand bien même cet accord aurait des conséquences sur l’exécution de son contrat de travail. Il n’est donc pas recevable à contester la validité d’un tel acte. En revanche, on peut s’interroger sur la capacité d’un salarié à solliciter devant un conseil de prud’hommes qu’un accord collectif lui soit déclaré inopposable, ce qui – concrètement – pourrait avoir les mêmes effets qu’une nullité.

Mais le sujet de l’exception d’illégalité ne concerne pas seulement les salariés. Ainsi, dans trois arrêts du 2 mars 20221, la Cour de cassation a permis à un comité social et économique et à une organisation syndicale de soulever, sans condition de délai, l’exception d’illégalité d’un accord collectif pour défendre leurs droits propres. La Cour de cassation a expressément indiqué dans ces décisions que le délai de deux mois n’était pas applicable en cette circonstance. Cette position est notamment la conséquence de celle précitée du Conseil constitutionnel, qui avait validé le délai de deux mois aux motifs notamment que son existence ne mettait pas fin à la possibilité de soulever la nullité par exception. Ainsi, la sécurité juridique des accords collectifs demeure une équation impossible : le législateur est en droit d’encadrer l’action en nullité dans de très brefs délais, pourvu que ceux-ci soient inefficaces pour une large part. Nous voilà rassurés !

1. Pourvois n° 20-16.002, 20-18.442 et 20-20.077

Sur les auteurs :

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