Je perçois régulièrement des personnes légèrement lasses de voir ce sujet revenir dans ce que j’écris ou dans mes conversations, et j’ai sans doute été comme elles avant d’avoir un désir d’enfant, puis de traverser une fausse couche, puis d’être enceinte de mon enfant et enfin mère. 

La parentalité : un sujet trop souvent méprisé

Je perçois régulièrement des personnes légèrement lasses de voir ce sujet revenir dans ce que j’écris ou dans mes conversations, et j’ai sans doute été comme elles avant d’avoir un désir d’enfant, puis de traverser une fausse couche, puis d’être enceinte de mon enfant et enfin mère.

Ce sujet me semblait futile, au sens le plus intériorisé de la misogynie que l’on nous apprend à intégrer dans nos systèmes de pensée : il y a le vrai monde, sérieux, et celui des gens qui s’intéressent davantage au domestique qu’au professionnel. Le monde tourné vers les adultes et celui qui s’oriente vers les enfants.

Tout cela relève à mes yeux d’un mépris systémique accordé aux femmes et au présupposé selon lequel une sphère - celle de l’intime ou du professionnel - l’emporterait toujours sur l’autre, valant encore à la gent féminine de subir des soupçons de non-professionnalisme et, quoi qu’il en soit, des discriminations et violences professionnelles qui détruisent, temporairement ou durablement, les carrières :

  • Une femme sur quatre a vécu une discrimination ou un harcèlement au travail en raison d’une grossesse ou de sa maternité (Défenseur des droits, 2020). 
  • Les femmes actives de 18 à 44 ans qui ont été enceintes ou mères d’un enfant en bas âge ont été deux fois plus la cible de discriminations que les autres (Défenseur des droits, 2017). 

Par ailleurs, nombreux sont les nouveaux pères qui me confient leur immense frustration de n’avoir pas pu rester suffisamment auprès de leur nouveau-né, et qui en tirent un ressentiment profond à l’égard de leur employeur. L’enjeu n’est donc pas uniquement féminin, même si les conséquences professionnelles, elles, sont en immense partie subies par les femmes.

En somme, en tant qu’organisation, ne pas être au rendez-vous d’un projet aussi existentiel que celui de devenir parent, au-delà de vous mettre en potentiel conflit avec la loi, vous fait rater le rendez-vous le plus fondamental de votre marque employeur. Si vous étiez là, votre réputation d’employeur vous suivra toute votre vie, et l’inverse a de fortes chances d’avoir lieu si vous préférez en faire une affaire au mieux secondaire.

À lire : Parentalité, aidance, maladie : comment les entreprises construisent une politique RH engagée 

Une différence femmes/hommes qui persiste

Claudia Goldin, Nobel d’économie 2023en a fait son œuvre : les inégalités femmes-hommes au travail trouvent leurs racines au moment de devenir parents.

Du fait de normes de genres persistant dans les imaginaires, les hommes sont attendus hors du foyer et les femmes dedans, y compris quand les deux membres du couple travaillent. En conséquence, les femmes se trouvent forcées à prendre sur elles une bonne partie de la charge domestique, qu’elles s’attendaient peut-être à partager pour mener de front leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Ainsi, en 2015, en cas de problème de garde pour l’enfant, 64% des femmes en couple assuraient l’intérim seules vs 7% des hommes (sondage Ipsos/ELLE Active, 2015) et les tâches ménagères ou familiales restent en grande partie dévolues aux femmes, ce qui, selon l’Observatoire des inégalités, n’a pas évolué depuis 2003. Preuve encore récente de ce décalage : le site Doctolib s’est aperçu en 2022 que 85% des rendez-vous médicaux pédiatriques étaient réservés par les mères.

Ce déséquilibre comporte des conséquences directes sur la carrière des femmes – du reste formidablement analysées par Thi Nhu An Pham dans son essai La Reprise – Le tabou de la condition des femmes après le congé maternité (Payot, 2023) :  

  • Un quart des femmes ont déjà refusé une promotion professionnelle en raison des problèmes d’organisation et de garde d’enfants qu’elles craignaient de ne plus pouvoir gérer (Elle Active/Ipsos, 2015) ; 
  • 49% des mères déclarent que la naissance de leur premier enfant a eu une ou plusieurs incidences sur leur emploi, et 66% à partir du deuxième… contre 14% des pères quel que soit le nombre d’enfants (Cereq, 2021).

Le sujet est donc sociétal et RH puisqu’il s’agit de produire un discours et des mesures incitant à la tolérance zéro face aux discriminations, à la formation des managers, à la sensibilisation des directions et à un emploi du temps favorisant des opportunités équitables de carrières :

  • 66% des parents confient avoir des difficultés de conciliation vie professionnelle/vie personnelle avec un enfant 0-3 ans (Insee, 2020) ;
  • 77% des femmes et 68% des hommes jugent que la parentalité est insuffisamment prise en compte dans l’organisation du temps et des lieux de travail. La principale situation dans laquelle cela se manifeste, selon les femmes comme les hommes, est la planification des réunions (CSEP/BVA, 2018).  

Mes engagements personnels sont devenus professionnels

En entrant en parentalité, nombre d’injustices m’ont sauté aux yeux, à commencer par le fait que tout cela était encore très injustement tabou. J’avais vécu une fausse couche et ai découvert le vide médical, RH et sociétal qui entourait cette perte qui touche pourtant un quart des débuts de grossesse. J’ai ensuite fait l’expérience d’une grossesse qui, elle, a été menée à son terme, et ai découvert les symptômes de début de grossesse, ignorés par la médecine (qui les a nommés « petits maux de la grossesse », ce qui en dit long sur le mépris accordé aux femmes) mais aussi par la société et par les RH. J’ai donc écrit Trois mois sous silence – Le tabou de la condition des femmes en début de grossesse (Payot, 2021) pour analyser tout cela sous un angle systémique.

J’ai ensuite co-lancé une charte RH et un guide complet, le Parental Challenge, pour ouvrir les yeux auxorganisations sur tout ce qu’elles ratent faute d’annoncer à cor et à cri qu’elles ne tolèrent aucune discrimination et prennent des dispositions claires, visibles et transparentes pour permettre aux personnes – hommes comme femmes – de vivre leur parentalité tout en restant performantes dans leur travail.

C’est au titre de ces engagements que j’ai été appelée à rejoindre Décideurs RH.

Et c’est avec cette double casquette de femme engagée et de directrice de la rédaction de ce média que j’ai l’honneur d’être invitée à parler au webinar de moka.care le 14 mars 2024.

Judith Aquien, directrice de la rédaction de Décideurs RH

 

Accédez au replay du webinar moka.care auquel j'ai été invitée à parler : « Parentalité en entreprise : comment créer un climat propice à l’épanouissement des équipes ? » 

 

Image de couverture : Verazinha sur Freepik