Joséphine Goube est la fondatrice de Sistech, une association qui favorise l’autonomie des femmes réfugiées en leur permettant d’accéder à des emplois dans le secteur de la technologie et du numérique. Entretien avec celle qui a réconcilié les métiers de la tech et l’engagement en faveur d’une communauté extrêmement vulnérable.

Décideurs RH. Pour répondre à quels besoins l’association Sistech a-t-elle été créée ?

Joséphine Goube. Au sein des populations de réfugiés, les femmes sont deux fois plus diplômées que les hommes. Pourtant, elles sont deux fois plus nombreuses à être au chômage. Leur statut de femme, associé à celui de réfugiée, entraîne une double stigmatisation. Leurs perspectives se résument la plupart du temps à exercer des métiers qui ne correspondent pas à leur niveau d’étude : elles sont souvent femmes de ménage ou caissières.

Sistech est né pour leur permettre de retrouver des emplois qualifiés dans le secteur de la technologie. Nous sommes implantés en France, en Grèce et en Italie et accueillons 300 femmes par an au sein de nos programmes. Toutes les nationalités sont représentées et la moyenne d’âge est de 34 ans. Enfin, nos portes sont ouvertes à toutes les femmes réfugiées, peu importe leur niveau d’éducation. Pour autant, la majorité de celles qui postulent ont un bac +3, voire +4.

Je suis partie des besoins : 40 % d’entre elles sont des mères, souvent isolées et sans solution de garde pour leurs enfants. Nous proposons ainsi, grâce aux dons que nous recevons, des services de garde d’enfants, via l’application Baby Sittor en France. Nous leur fournissons également un accès à du soutien psycho-social, des ordinateurs, box wifi et prenons en charge les frais de transport pour qu’elles puissent assister à des conférences ou passer un entretien.

En quoi consistent vos programmes ? Quels sont les débouchés pour les femmes que vous accompagnez ?

Les fellows Sistech suivent un parcours en trois étapes : orientation professionnelle, formation et employabilité. Ces trois phases sont progressives, et chacune peut être rejointe indépendamment selon le besoin de la fellow. Nous avons à cœur de proposer un accompagnement de qualité et personnalisé. Ce n’est pas parce qu’on fait du social qu’il faut le faire au rabais, bien au contraire.

"Nos portes sont ouvertes à toutes les femmes réfugiées, peu importe leur niveau d’éducation. Pour autant, la majorité de celles qui postulent ont un bac +3, voire +4" 

La phase d’orientation consiste à trouver la formation la plus pertinente par rapport au passé et aux compétences des fellows, cela afin de leur proposer un parcours qui soit accessible et assure des débouchés. Après l’étape de l’orientation, une offre de formation – bâtie avec des partenaires éducatifs sélectionnés avec attention – leur est proposée.

Il s’agit de formations en ligne ou en présentiel, certifiées Qualiopi, pour la plupart ou certifiées par des grandes entreprises connues du secteur, qui les orientent vers des postes juniors dans les secteurs des data sciences, du développement web, de la cybersécurité et de l’UX (user experience) et UI (user interface). Nous sommes également en train de travailler sur un module lié à l’intelligence artificielle et son usage au quotidien.

Une fois qu’elles sont formées, nous les accompagnons dans leur recherche d’emploi : c’est la troisième phase de notre programme, celle de l’employabilité. Les résultats sont flagrants : 71 % des femmes qui participent à cette étape trouvent une opportunité professionnelle dans le numérique au sein de nos entreprises partenaires comme BNP Paribas et Orange, qui proposent des contrats en alternance ou des CDI.

Nous nous sommes d’ailleurs aperçus que le CDI n’était pas le Graal pour nos fellows. Ce sont des femmes qui ont perdu beaucoup, dont la confiance dans un avenir meilleur, et qui se retrouvent dans un programme où elles sont identifiées comme réfugiées.

Dès lors, souvent, elles pensent être embauchées pour leur statut plus que pour leurs compétences, et estiment que la période d’essai dévoilera leur inaptitude supposée. Elles sont également nombreuses à croire qu’il s’agit d‘une embauche de “façade” pour remplir certains quotas diversité. Beaucoup d’entre elles préfèrent donc commencer par une alternance : cela les sécurise, leur donne le temps de reprendre confiance en elles et de continuer à se former tout en gardant une perspective de stabilité. D’ailleurs, dans la plupart des cas, les alternances débouchent sur des CDI.

Quelles sont les principales motivations des entreprises partenaires de Sistech ?

Nos interlocuteurs privilégiés sont les DRH et les directions des entreprises, qui portent, avec une réelle conviction, des démarches d’inclusion et de diversité. Ils souhaitent de plus en plus s’engager, dans la lignée des critères ESG qui s’imposent à eux. Cela répond également à des enjeux d’attractivité et de marque employeur de plus en plus importants : un salarié est souvent fier de rejoindre un groupe qui porte de forts engagements sociétaux.

Recruter des femmes réfugiées comporte de réels atouts : elles parlent en moyenne trois langues, ce qui leur donne une fine compréhension des marchés étrangers et une capacité d’adaptation supérieure au commun. Nous avons aussi observé qu’elles souhaitent de la stabilité – ce qui leur confère un taux de rétention professionnelle supérieur à la moyenne. Quand on connaît la difficulté de garder des profils “tech” au-delà d’un an, c’est un argument fort pour convaincre les managers. Elles sont reconnaissantes envers leur entreprise. Plusieurs managers m’ont remerciée, arguant que cela leur avait rappelé les convictions qui les avaient poussés vers des métiers RH, et leur envie d’aider des profils avec du potentiel, désireux de travailler et de progresser.

"Les personnes que nous accompagnons parlent en moyenne trois langues ce qui leur donne une fine compréhension des marchés étrangers et une capacité d'adaptation supérieure au commun"

Néanmoins, recruter des profils aussi divers est très exigeant. Ces personnes sont en situation de fragilité sociale ; il faut effectuer un travail approfondi sur les biais de perception, afin de garantir la sécurité psychologique de chaque membre de l’équipe. Sinon, cela ne peut pas fonctionner.

La diversité et l’inclusion ne doivent être ni un simple instrument de communication ni un concept cédé aux sirènes d’une idéologie. Une politique qui défend ces deux valeurs doit être incarnée et portée par une direction et un management dont les objectifs stratégiques ont trait à l’innovation des équipes et le développement des activités à l’international.

"Dès qu’elles accèdent à l’emploi, les femmes réfugiées progressent rapidement en français, s’épanouissent dans leur travail, obtiennent un prêt bancaire, etc. Elles deviennent indépendantes et libres"

Certains parcours vous ont-ils particulièrement marquée ?

Toutes ces femmes réfugiées que nous suivons ont des compétences et talents immenses, qui ne sont pas reconnus par la société. Pourtant, dès que nous leur tendons la main et qu’elles accèdent à l’emploi, elles progressent rapidement en français, s’épanouissent dans leur travail, obtiennent un statut auprès des autorités françaises, un prêt bancaire, etc. Elles deviennent indépendantes et libres.Je pense notamment à Sahar, qui a travaillé pour les plus grandes entreprises de télécommunications d’Afghanistan et des agences de l’ONU pendant dix ans. Lorsque les talibans sont arrivés au pouvoir, ils l’ont traquée. Elle a dû fuir le pays, et, après deux ans d’attente, a obtenu sa demande d’asile en France.

Puis, après deux ans en tant qu’hôtesse pour le service client dans une grande enseigne de bricolage, elle a postulé et intégré le programme Sistech. Ce qui lui a permis de travailler pour la start-up Trustpair, une plateforme de prévention de la fraude au virement, avant de rejoindre BNP Paribas en alternance en cybersécurité. Sahar est très appréciée par sa hiérarchie et je suis confiante pour la suite de sa vie professionnelle. Un parcours comme le sien est une vraie fierté pour Sistech.

Propos recueillis par Caroline de Senneville

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