En matière d’innovation technologique, le secteur bancaire dispose d’un coup d’avance. Aymen Shabou, CTO du DataLab groupe Crédit agricole, détaille comment l’IA redessine les processus métiers.

Décideurs. Pouvez-vous présenter le DataLab ?

Aymen Shabou. Le DataLab groupe Crédit agricole est notre pôle de référence en matière de conception de solutions basées sur les données et l’IA. Ces solutions se distinguent par leur création interne ainsi que leur caractère innovant et nativement industriel. À son lancement en 2016, la structure réalisait des études sur le potentiel de la donnée et de l’IA pour les métiers du groupe. En 2018, le département a recentré ses activités sur le développement de solutions industrielles. L’engouement a été tel que celles-ci ont été adaptées à différents processus métiers. En 2021, nous avons fondé notre AI Factory group au sein du DataLab groupe afin d’accompagner les entités du Crédit agricole dans leurs transformations relatives aux données, notamment dans la production de solutions.

Vous avez fait le choix de développer votre propre système d’IA. Pourquoi ne pas avoir eu recours à des outils disponibles sur le marché ?

Soulignons que la stratégie du groupe concernant l’IA repose sur un choix pragmatique selon chaque projet. Nous décidons ainsi d’acheter des solutions, de les développer en interne ou d’hybrider ces deux options au cas par cas. 

"Le DataLab groupe privilégie autant que possible des développements en interne"

Le DataLab groupe privilégie autant que possible des développements en interne. Concevoir ses propres outils permet de mieux les maîtriser en évitant l’effet « boîte noire », de les customiser en fonction des besoins métiers et de préserver les données et la connaissance métier confidentielles. L’open source reste une base solide pour élaborer ces solutions internes. Dernièrement, nos processus de fabrication de systèmes d’IA ont été certifiés par Labelia et le LNE (Laboratoire national de métrologie et d’essai). Cette démarche volontaire nous tient à cœur afin de valider nos méthodes et applications sur la base de normes et critères externes. Des étapes indispensables pour bien nous préparer à l’AI Act, la future réglementation européenne liée à l’IA.

Quelles sont les clefs pour que votre IA convienne à l’ensemble des métiers du groupe qui en ont l’usage ?

Quand les métiers s’adressent à nous avec un besoin, ils pensent parfois que l’IA est magique. L’acculturation est donc un défi majeur. Nous avons la responsabilité de leur expliquer que la réalisation d’un cas d’usage d’IA demande un investissement humain. Dans cette co-construction, les équipes métiers doivent libérer de la bande passante pour préparer les données et exemples nécessaires à l’apprentissage de l’IA et à son évaluation rigoureuse. Pour ceux qui étaient réticents, les démonstrations poussées leur ont permis d’expérimenter de près le fonctionnement d’une IA et la nécessité de l’expertise humaine pour répondre correctement à leur besoin.

"Les métiers pensent parfois que l’IA est magique"

Pouvez-vous nous citer quelques projets réalisés avec les outils internes déjà mis en place ?

Le traitement documentaire fait partie de nos cas d’usage les plus importants. Les IA permettent déjà de renforcer le contrôle de conformité des justificatifs et aideront bientôt à lutter contre la fraude documentaire en assistant les experts. Elles fiabilisent ces vérifications et remontent des alertes, au besoin. Un soutien de taille dans cette tâche chronophage.

Pour ce qui est du traitement des e-mails, l’IA aide les collaborateurs à prioriser certains dossiers afin, par exemple, de garantir les délais de réponse ou de préparer une réponse. Les gains de productivité permettent aux collaborateurs, notamment dans les back-offices, de se concentrer sur les dossiers les plus complexes.

Certains projets traitent de la détection des signaux faibles, notamment pour anticiper la fragilité financière des clients avant plusieurs mois. D’autres actions encore s’inscrivent dans le plan sociétal du groupe. C’est le cas de l’aide à l’implantation de stations de recharge pour les voitures électriques par les caisses régionales grâce à l’usage avancé de l’open data.

Enfin, de récents programmes reposent sur les avancées en IA générative. Notre "Google interne" est confectionné ainsi, à partir de l’open source. Nos métiers sont dotés de moteurs de recherche sémantiques puissants sur des corpus documentaires métiers variés. Dans nos projets, il n’est jamais question de remplacement mais d’assistance à l’expert, qui reste maître des décisions.

Quelles sont vos perspectives pour l’avenir ?

L’IA générative va ouvrir un large champ d’innovations. Des cas d’usage que l’on ne savait pas traiter seront désormais réalisables : l’aide à la production de contenus de communication, l’assistance à l’écriture d’un contrat, à l’élaboration d’un rapport de synthèse, et ce, depuis plusieurs sources… 

Au DataLab groupe, notre objectif est de contribuer à ces innovations sans renoncer à nos principes de performances, confiance et responsabilité. Des impératifs qui se traduisent par des solutions d’IA sécurisées, éthiques, frugales, explicables et robustes aux cyberattaques. 

Enfin, notre responsabilité collective passe aussi par l’accompagnement des collaborateurs afin qu’ils appréhendent au mieux ces nouveaux assistants intelligents dont l’objectif est de leur permettre d’être encore plus présents là où le contact humain est essentiel. 

Propos recueillis par Léa Pierre-Joseph

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