Si certains observent une  flemme généralisée dans l’Hexagone, les mouvements sociaux autour de la réforme des retraites démontrent que les Français ne s’épuisent pas si facilement et font preuve de véhémence face à ce qu’ils nomment un manque de reconnaissance.

Grande démission et quiet quitting ont mis en lumière des salariés délaissant leur emploi car méconnus par leurs managers, des cadres à bout de souffle dont l’implication ne semble pas suffisamment soutenue par les directions et des secteurs professionnels entiers dont l’utilité sociétale ne fait aucun doute mais dont les rémunérations et l’aura sociale n’attirent plus les talents…. Si la reconnaissance au travail est encore perçuecomme une gratification déléguée au bon vouloir des managers, le nouveau pacte qui s’établit entre employeur et salarié invite à se demander s’il n’est pas temps de remettre la notion de reconnaissance au centre du jeu.

Des Français désabusés 

Le dernier baromètre d’Empreinte humaine démontre l’impact de la réforme des retraites sur la santé des collaborateurs : sept salariés sur dix sont anxieux de travailler plus longtemps et six salariés sur dix pensent que leur santé psychologique et physique ne leur permettra pas de tenir jusqu’à l’âge annoncé de départ à la retraite. À cela, se corrèle un autre chiffre :  un Français sur deux éprouve le phénomène du quiet quitting. Ce phénomène que l’on croit nouveau et qui pourtant, comme le rappelle la philosophe et sociologue Dominique Méda sur France culture, était déjà évoqué par le sociologue Guy Bajoit en 1988 sous le terme d’apathie (Exit, Voice, Loyalty) : un comportement passif qui n’engage pas de comportement coopératif à la suite de fortes attentes qui se confronte à des conditions d’exercice du travail méprisantes.

Différents critères sont identifiés comme étant à l’origine du sentiment de manque de reconnaissance. La disproportion entre l’implication donnée à son travail et le retour effectué par ses supérieurs est le marqueur le plus souvent évoqué. "La question de la reconnaissance est souvent vue comme s’il s’agissait de simplement dire bravo ou merci. Avoir le sentiment d’être reconnu au travail est fondamental pour la santé mentale et c’est bien plus large de que cette forme de reconnaissance "gratitude" nécessaire mais pas suffisante. Développer uniquement cette forme de reconnaissance fait des gagnants et des perdants." explique Christophe Nguyen, président du cabinet Empreinte humaine. Il ajoute :  "En termes de management, on doit diversifier les formes de reconnaissance, l’investissement, un savoir-faire, un savoir-être, une pratique de travail, etc.D’autre part, on peut avoir tendance à ne pas questionner les collaborateurs sur ce qu’ils attendent en termes de reconnaissance. J’incite les managers à questionner les salariés pour ne pas faire les réponses avant de poser les questions. L’enjeu est de taille pour le bien-être psychologique: 8 salariés sur 10 estiment que la reconnaissance effacent la fatigue."

"8 salariés sur 10 estiment que la reconnaissance effacent la fatigue."

 Un management qui pèche toujours 

En 2019, une étude du jobboard Cadreo (devenu Hellowork) estimait que 40% des cadres ne sont pas formés en management. Certes de nombreuses formations sont à présent dispensées autour du leadership et du management, toutefois une confusion persiste souvent entre le fait d’être cadre et manager. Peu reconnu comme une expertise à part entière, le management s’ajoute souvent à d’autres fonctions justifiant ainsi la promotion d’un salarié.  Le prérequis au management est trop souvent uniquement lié à l’expertise métier. 

Un autre point est également soulevé, celui de la culture d’un management peu innovant. Une étude réalisée par le cabinet Robert Walters consacrée à la Grande démission en 2023 révèle que la première raison pour laquelle les cadres souhaitent démissionner est le désaccord avec le management et la culture d’entreprise. Parcellisation du travail et manque d’autonomie font défaut à  nos organisations dans le travail. Christophe Nguyen indique qu’"être au sein d'un process sans le comprendre, se sentir "empêché" de faire le cœur de son métier, ce qu’on aime faire, développe une rupture avec les décideursou l’entreprise qui  n’est pas satisfaisant." Le management par le diplôme fait trop souvent légion, créant un écart important entre les salariés et les directions. Souvent trop hiérarchiques et peu inclusives, les entreprises françaises peineraient donc à devenir apprenantes. Selon la dernière enquête menée par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail (Eurofound), la France se trouve en 28e position sur les 36 pays classés.

Mais le désengagement gagne également des métiers, comme les infirmiers, les médecins, les restaurateurs… dont le sens est pourtant évident et concret.   Christophe Nguyen poursuit : "socialement il existe des métiers plus valorisés que d’autres mais le management peut venir apporter des axes de reconnaissance important. De beaux métiers, qui font pleinement sens, notamment dans le médico-social, se trouvent à présent désaffectés par des conditions qui ne permettent plus de les exercer correctement."

"De beaux métiers, qui font pleinement sens, notamment dans le médico-social, se trouvent à présent désaffectés par des conditions qui ne permettent plus de les exercer correctement." 

Promesses non tenues

Au mécontentement individuel se greffe un sentiment plus contemporain de manque de cohérence entre le profit apporté à la société par son emploi et la rémunération perçue. Déjà en 2016, l’étude menée sur les conditions de travail par l’économiste Thomas Courtrot pour la Dares révélait que 45% des Français seulement trouvent qu’ils sont "bien payés" pour les efforts qu’ils fournissent et le travail qu’ils font contre 68 % des Allemands et 58 % des Européens. 

45% des Français seulement trouvent qu’ils sont "bien payés" pour les efforts qu’ils fournissent  

En 2020, la crise sanitaire a mis en exergue la disproportion existante entre la nécessité de certains métiers pour le maintien de l’économie nationale et leur manque de reconnaissance financière et sociale. Ces métiers dits  "de première et seconde lignes " incarnent un malaise social important en France. Actuellement  fortement mobilisés contre la réforme des retraites, ces travailleurs soulignent les promesses non tenues par le gouvernement en rappelant l’allocution d’Emmanuel Macron le 13 avril 2020 : "Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal." 

Deux ans plus tard, le prolongement de l’âge de départ à la retraite ne passe pas. La philosophe et sociologue Dominique Méda, spécialiste des questions liées au travail, affirme dans une tribune parue dans  Le Monde qu'"allonger le temps passé au travail avant d’améliorer les conditions d’exercice du travail ne pouvait être vécu que comme une véritable provocation". 

Entre des conditions de travail qui se dégradent selon les études réalisées depuis plusieurs années et un contexte économique morose, la reconnaissance au travail n’apparaît plus comme dispensable mais comme un fondamental du pacte social, souvent le symptôme d’un manque d’équité présent.

Elsa Guérin

 

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